Le mythe de Charlie Chaplin
« C'est probablement la statue qui reproduit le plus fidèlement le modèle et sa posture », estime Yann Ourry, médiateur du patrimoine de la Région Nouvelle-Aquitaine et fin connaisseur du jardin de Gabriel Albert. Pour sculpter Charlie Chaplin, le Nantillais s'est appuyé sur la une de l'hebdomadaire « Ici Paris » annonçant son décès. Ce document a été retrouvé avec des centaines d'autres dans son atelier, située au fond du jardin. Rien n'y a bougé depuis le décès de l'artiste en l'an 2000.
Gabriel Albert conservait tout ce qui l'inspirait : des revues illustrées, des journaux, des catalogues de vente par correspondance, à côté de quelques notices techniques sur le ciment. C'est cet unique matériaux que l'ancien menuisier a utilisé durant deux décennies. « Il formait un squelette métallique. Puis il moulait, coffrait ou modelait son ciment mélangé à du sable local. Gabriel Albert terminait toujours par le visage, qu'il confectionnait pièce après pièce », détaille Yann Ourry.
Les figures de son temps
Sur 420 œuvres répertoriées, une cinquantaine ont pu être identifiées. Gabriel Albert aimait travailler les grands noms de son temps et, parmi eux, les personnages politiques. Jacques Chirac, Georges Marchais, François Mitterrand et Valéry Giscard d'Estaing figurent ainsi côte à côte – et dans cet ordre – dans les allées du jardin sculpté. Détail amusant : la couleur de leur cravate.
Seule celle du communiste respecte les couleurs habituellement prêtées aux partis politiques. Gabriel Albert peignait toutes ses œuvres avec des pigments d'oxyde de fer ou, plus rarement, avec de la peinture glycéro. Mais celle-ci résiste très mal à l'usure du temps. « C'est une catastrophe », confirme le médiateur du patrimoine, qui a participé à la restauration des sculptures couvertes de lichens ou détériorées par le gel. Jugées en péril, 59 d'entre elles ont été placées à l'abri, comme celle de Jacques Brel. Les autres seront couvertes dès cet hiver et pour la première fois, « afin de limiter la casse ».
Blanche-Neige et le farceur
Blanche-Neige et les Sept Nains figurent parmi les premières œuvres de Gabriel Albert. Ou plutôt... les huit nains. « Il mettait les visiteurs au défi de trouver les anomalies parmi ses œuvres. Le képi du général de Gaulle a aussi été affublé de trois étoiles alors qu'il n'en possédait que deux. Mais ça, les gens trouvaient facilement à l'époque », assure Yann Ourry.
Là encore, l'autodidacte s'est appuyé sur des images glanées dans une revue pour sculpter les personnages des studios Disney. L'un des nains a été volé en 2004. Une trentaine d’œuvres a été dérobée au total, les dernières en 2015, lors d'une seconde opération visiblement bien préparée. Aucune sculpture n'a été retrouvée à ce jour.
La question du guépard
Yann Ourry et ses confrères se sont longtemps interrogés : pourquoi Gabriel Albert a-t-il sculpté une femme quasiment nue, doublée d'un guépard ? Un choix étonnant au regard de son œuvre plus inspirée en la matière par les revues de mode de la fin du XIXe siècle. La réponse se cachait dans les archives du sculpteur-modeleur qui fut guidé par... une affiche publicitaire pour de la lingerie féminine. « La représentation féminine lui tenait à cœur. Mais rien n'est jamais obscène », précise Yann Ourry.
L'Angélus revisité
Gabriel Albert a revisité « L'Angélus » du peintre Jean-François Millet. Taquin, l'artisan en a profité pour se mettre en scène et modeler son visage et celui de sa femme. Celle-ci porte d'ailleurs des vêtements bien plus modernes que la paysanne figurant sur l'original peint entre 1857 et 1859 (exposé au musée d’Orsay).
Autre détail : une spatule utilisée pour travailler le ciment dépasse de la poche du Saintongeais, clin d’œil à sa condition d'artiste autodidacte. « ‘‘L'Angélus’’ de Millet n'est pas n'importe quel tableau, c'est une icône de la France rurale. Gabriel Albert en avait une copie dans sa maison. » Au sol, l'artisan a également pris soin de dessiner un cœur avec des pierres. « Anita, son épouse, était parfois agacée par cette passion envahissante. Mais elle en était fière », rapporte le médiateur du patrimoine.
Fils de paysans, sculpteur désintéressé
Le jardin sculpté de Gabriel Albert se trouve au lieu-dit Chez Audebert, à Nantillé, en Charente-Maritime. Né en 1904, ce fils de paysans était menuisier-ébéniste. C'est en prenant sa retraite, en 1969 que cet autodidacte se mettra à sculpter frénétiquement le ciment. En deux décennies, Gabriel Albert a réalisé 420 statues et bustes mais, artiste sans le savoir, il n’en a signé que quinze (sur le socle). En 1989, il cesse totalement de créer sans raison apparente avant de s'éteindre en l'an 2000. Désintéressé, Gabriel Albert a toujours refusé de vendre ses sculptures et n'en a offert qu'une poignée.
Sa maison – entièrement construite de ses mains – et ses œuvres ont été données par sa fille unique à la commune. Elles appartiennent depuis 2015 à la Région Nouvelle-Aquitaine qui a entamé un processus de sauvetage des statues les plus abîmées. Le Jardin de Gabriel est protégé au titre des monuments historiques depuis 2011, à l'instar du Palais idéal du facteur Cheval à Hauterives (Drôme) et de la maison Picassiette de Raymond Isidore à Chartres (Eure-et-Loire). Il est ouvert à la visite quelques fois par an.