C’est un espace hors du temps, sur le territoire de la capitale mondiale de la Préhistoire, Les Eyzies-de-Tayac-Sireuil. Là, dans le silence des contreforts boisés et des à-pics rocheux qui dominent un site naturel remarquable, le donjon de Commarque se lance à l’assaut du ciel comme un défi. Il y a près de 1 000 ans qu’il surveille la vallée de la Beune et le castrum construit autour de sa base.
Mais il y a un peu plus d’un demi-siècle, seuls les aventuriers pouvaient encore deviner (avec beaucoup d’imagination) quelle surface pouvaient recouvrir les constructions du passé. Le donjon émergeait péniblement de la végétation, la forêt avait presque totalement repris ses droits et s’avançait avec témérité dans la vallée, les pierres se désolidarisaient les unes des autres sous la poussée des racines et des intempéries... Commarque était vouée à une disparition certaine, avec un destin a priori scellé dès son abandon, à l’aube de la Renaissance.
« Chef d’œuvre en péril »
Les damoiseaux du XXe siècle y entraînent leurs conquêtes au crépuscule. Les reliefs sont mystérieux, l’atmosphère y est terriblement romantique. Dangereuse aussi. Par miracle, nul drame n’est venu endeuiller ces escapades nocturnes. Pour les amoureux du patrimoine et d’histoire par contre, la vision est apocalyptique ! Chaque nouvelle saison entraîne davantage le site vers l’oubli : Commarque n’est plus qu’une ruine monumentale ensevelie sous les feuillages et les remblais.
Il aura fallu plus de 50 ans de passion et d’obstination pour que le passé resurgisse. Si de premiers travaux d’urgence ont été entrepris dès 1940 par Yves-Marie Froidevaux, architecte en chef des Monuments historiques, ce n’est qu’à partir de 1962 que l’organisation médiévale des lieux se profile avec plus de précision et l’avenir se dessine. Cette année-là, un jeune homme de 19 ans décide d’ajouter un nouveau chapitre à l’histoire de sa famille. Il s’appelle Hubert de Commarque.
Des mystères et des secrets
Durant les quatre décennies qui vont suivre, les archéologues, les étudiants, les architectes, les historiens, les chercheurs, etc. vont se succéder sur le site. Le castrum livre une partie de ses secrets et les murs retrouvent leur place sous le soleil avec des fouilles qui vont en s’accélérant. Auprès du grand cluzeau, à la tour-porte et à la poterne, dans la chapelle Saint-Jean, à la maison noble des Commarque, vers le logis roman, la salle basse, la maison dite « des Escars », la grande salle et les logis du château, des maisons de chevaliers, des fossés, des passages, des ruelles : c’est tout un castrum et des siècles d’histoire qui reprennent vie.
Le site est ouvert au public depuis 2000 et raconte une partie du quotidien d’une co-seigneurie. Chaque découverte ajoute une pierre à la compréhension globale de son histoire. La première strate (en partie enfouie) date de 80 000 ans, suivent les niveaux troglodytiques puis ceux des assises de la forteresse et des murailles jusqu’au haut du donjon.
Que ceux qui ont goût de l’interdit et de l’aventure, lorsqu’autrefois, ils se faufilaient entre les ruines, se rassurent. Même dégagé, restauré, fouillé, le site n’a pas perdu sa magie. Commarque préserve encore bien des mystères et grave dans les esprits des images insistantes : une baie à colonnettes qui donne sur le château de Laussel, un donjon vertigineux, une partie d’échecs inachevée gravée dans la pierre, une voûte suspendue par le ciel, des escaliers taillés dans la falaise... Et même, dit-on, le fantôme d’un cheval qui galope à travers les ruines dans la lumière diaphane des nuits de pleine lune.
Journaliste. Passions : le Périgord et le patrimoine, l’histoire et l’environnement, la nature et les animaux, l’équitation et la moto... et la culture du Sud-Ouest avec le rugby, les bodegas, le surf, le ski...